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ALI
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Un film de Michael
Mann |
Etats-Unis. 2001. Scénario : Stephen J. Rivele, Christopher
Wilkinson, Eric Roth et Michael Mann. Photo : Emmanuel Lubezki.
Musique : Pieter Bourke et Lisa Gerrard. Production : Paul Ardaji,
A. Kitman Ho, James Lassiter, Michael Mann et Jon Peters. Durée
: 2 h 38.
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Avec Will Smith, Jamie
Foxx, Mario Van Peebles, Jon Voight... |
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Ali Bumayé
!
"Ali " se propose de faire la biographie de Cassius Clay,
alias Mohammed Ali, en une fresque héroïque qui montre
le champion à la lumière de ce qu'on connaît déjà.
L'esthétique impeccable et la performance remarquable de Will
Smith en font néanmoins un film fort, transformant Mohammed
Ali en une icône à placer au panthéon des grands
hommes du 20ème siècle.
Le champion du peuple
La tâche était rude. Comment retracer la vie de ce
grand champion, si dense, si complexe et prenant en compte tant
de paramètres (politique, social, racial et surtout sportif)
le temps d'un film ? Une seule solution : dessiner un contexte solide
autour du personnage et ne voir l'homme que comme les gens de l'époque
le voyaient, c'est-à-dire à travers les médias.
Le peu de fois où on saisit Mohammed Ali seul, Michael Mann
utilise le support numérique créant ainsi un effet
amateur (ou du moins documentaire), une image à l'arrachée,
grasse et sombre comme discrètement tournée par une
caméra espionne. D'ailleurs, les quatre années où
le champion ne boxe pas sont survolées voire inexistantes,
comme il l'était aux yeux des médias et par conséquent
au regard public, le nôtre. Le réalisateur le revendique
en l'omniprésence du photographe qui ne cesse de prendre
des clichés, autant dans sa vie familiale que durant les
combats et qui soudainement disparaît lors de ces années
de passage à vide. Nous percevons Ali comme un instrument
médiatique mais qui en avait parfaitement conscience et possédait
le génie d'en jouer.
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On le voit dans les conférences
de presse, au combat, en présence de personnalités politiques
et religieuses, mais très rarement dans le cadre de l'intimité
ou seulement pour montrer à quel point le personnage qu'il
a créé, qu'il est devenu en face des micros et des caméras,
transpire dans sa vie privée. Ses discours arrogants et rimés
proprement rapologiques (serait-il l'inventeur de l'egotriping ?)
d'avant le combat sont dignes d'une mise en scène organisée
toute spécialement pour les médias. Ses réactions
insolentes à la télévision face à un présentateur
ne se révèlent qu'un jeu quand on les voit plus tard
plaisanter ensemble. Mais ce que montre le film avant tout, c'est
le parcours d'une vie à la portée politique (à
son insu). En effet, on le savait partisan de la Nation of Islam,
on le savait militant contre le racisme et pour la reconnaissance
de la douleur afro-américaine, ses relations avec Malcom X
C'est
ainsi que le "champion du peuple " trace une voie exemplaire
de réussite retransmise à l'écran. D'abord construit
à la force de ses poings, ensuite malgré ses erreurs
de déviance évasive dans le fanatisme musulman, il conduit
sa carrière dans le sillon du peuple (en particulier afro-américain)
et en sa gloire. Il se dégage ensuite des dernières
chaînes qui le ralliaient à l'esclavagisme (son nom)
et s'élève au rang de héros reconnu par tous.
Il ira ensuite en Afrique, à la base de ses origines, pour
confirmer son pouvoir, porté par la célébration
de son nom ("Ali Bumayé ") et devenir une icône
(les peintures le représentant sur les murs). Puis, il reniera
ses prétendus frères qui profitent de son statut tel
Don King qui "parle noir, vit blanc et pense vert " (vert
comme les dollars). |
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Bien sûr on voit aussi Mohammed Ali dans sa faiblesse : les
femmes. On lui pardonnera au regard de ses innombrables "réalisations
de l'impossible ". Ali bumayé ("Ali, tue-le ").
Ali n'a pas seulement pulvérisé un adversaire invincible
(Foreman), il a aussi vaincu le plus redoutable de tous les concurrents,
l'oppressant et oppresseur système (l'Etat, la ruine, le
business sportif et la vie).
En dehors du propos, on pourra féliciter le travail du style.
Michael Mann utilise tout son talent afin de donner à "Ali
" une allure impeccablement esthétisée. L'aspect
souvent documentaire de l'image, tremblotante, ballottée
ne fait que confirmer la thèse développée plus
haut mais dégage aussi l'énergie que déployait
le champion. Durant les combats, nous sommes véritablement
sur le ring avec les boxeurs. La caméra est frappée,
le son des chocs entre le gant et la peau résonne dans nos
têtes comme si nous prenions réellement un coup de
poing. On sort d'ailleurs de la salle complètement sonné.
Car ce film est un combat au sens propre comme au figuré,
le réalisateur filme au corps et nous offre une vision totalement
objective du mythe. Objective c'est-à-dire à travers
un il lucide, réaliste et concerné mais jamais
froid. Qu'ajouter, sinon la performance remarquable de Will Smith
qui nous offre le temps du film le simulacre parfait. On croit voir
un reportage sur Mohammed Ali. "Ali " est un film détonnant
qui marque comme un uppercut.
Sébastien JOUNEL
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PAS D'ACCORD |
"Ali " n'est
pas véritablement un film sur la vie du boxeur. C'est une sorte
de puzzle ou de collage, en forme de zapping télévisé,
dont le seul but (avoué) est de faire du champion un héros
pour petits et grands sur le modèle de Superman ou Mickey Mouse.
Le spectateur est tout au long du film condamné à rester
à la surface des choses, à survoler les événements.
Que donne à voir Michael Mann ? Des combats, des conférences
de presse, vus et revus à la télévision, voire
même en mieux au cinéma (il suffit de jeter un il
au superbe docu "When we were kings " pour s'en persuader).
"Ali " est une coquille vide. La faute à un scénario
qui n'a pas su faire de choix et qui, en voulant embrasser toute la
vie de Cassius Clay, mal étreint. Le plus frustrant concerne
évidemment l'inactivité sportive imposée à
Ali lorsque celui-ci refuse d'aller combattre au Vietnam. Que se passe-t-il
dans la tête d'un champion privé de sa passion, de son
gagne-pain, alors qu'il est au sommet de sa forme et de sa gloire
? |
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On n'en sait rien. Cette
période est filmée en avance rapide, comme si Mann cherchait
à tous prix à éviter d'égratigner, de
dévaloriser le mythe ou de froisser sa belle image de papier
glacé (la défaite face à Frazier est, elle aussi,
rapidement éludée). C'est pourtant dans ses (rares)
moments de doute que ce héros moderne est le plus intéressant.
La vie d'Ali est passionnante quand il prend des coups, au sens propre
comme au figuré. C'est sa manière de surmonter les épreuves,
de composer avec ses faiblesses physiques ou morales, qui en fait
un exemple. "Ali ", le film, ne veut que gommer échecs
et failles. A force d'être trop lisse, le film devient gonflant
et le "biopic " tourne à l'hagiographie simpliste.
On ne sent à aucun moment l'uvre "habitée
". La qualité de la reconstitution est indéniable
(les acteurs sont tous les sosies presque parfaits des protagonistes
de l'époque), mais vaine. Au point que l'on regretterait même
de voir Will Smith sous-employé dans certaines scènes,
alors que sa prodigieuse composition confine au mimétisme. |
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La démarche de Michael Mann manque aussi de cohérence.
Son "Ali " est une vue macroscopique de la vie du boxeur,
mais lui ne filme que des détails qui, noyés dans
un flot d'images de 2h40, perdent toute signification. D'autant
que Mann caricature avec excès son style plastiquement impeccable
habituellement. Décadrages à volonté, flou
puis mise au point, filmage collé aux visages : tous ses
tics de mise en scène finissent par donner mal à la
tête.
L'intérêt d'"Ali " est probablement ailleurs.
Dans sa démarche d'être allé filmer au Mozambique
avec une superstar afro-américaine comme Will Smith. Le tournage
fait alors écho, 27 ans plus tard, au déplacement
riche de sens de Cassius au Zaïre, pour combattre Foreman,
lors d'un mémorable "Rumble in the jungle ". C'est
peut-être dans cette forme de reconnaissance du continent
africain, par les héros de l'Amérique triomphante
que se situe le principal enjeu.
Mais la vie de Mohammed Ali est, elle, beaucoup trop grande pour
tenir sur un écran de cinéma.
Christophe BENEY
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