LA CHUTE DU FAUCON NOIR

 
Un film de Ridley Scott

Etats Unis. 2001. Scénario : Ken Nolan, d'après le livre de Mark Bowden. Photo : Slawomir Idziak. Musique : Hans Zimmer. Production : Ridley Scott et Jerry Brukheimer. Durée : 2 h 23.

Avec Josh Hartnett, Ewan McGregor, Tom Sizemore, Eric Bana, William Fichtner, Ewen Bremner, Sam Shepard...
 
Les oisillons tombés du nid.
Somalie. Octobre 1993. Finis les sacs de riz pour "restaurer l'espoir ". L'Oncle Sam veut mettre un terme aux affrontements tribaux. Il envoie ses troupes d'élite en mission commando, au cœur de Mogadiscio, pour capturer deux chefs de guerre. Rien ne se passe comme prévu. Un hélico est abattu. Puis c'est au tour de l'appareil envoyé secourir les éventuels survivants d'être descendu. Les troupes s'enlisent. L'attaque éclair s'éternise et dégénère en sauvetage foireux.

"Force et honneur ".
On pourra dire ce que l'on voudra sur l'opportunisme et la roublardise du système hollywoodien : le cinéma américain a au moins le mérite de mettre en scène les échecs (physiques et moraux) nationaux. La guerre du Vietnam étant, pour le moment, un thème épuisé, les nababs de la côte Ouest partent à la recherche de cette "gloire amère " (l'expression est d'Amos Kollek, concernant le 11 septembre), inhérente à la défaite mais propre à stimuler patriotisme, héroïsme et esprit de sacrifice. Assoiffé depuis peu de reconnaissance artistique et d'Oscars, Jerry Brukheimer s'est emparé l'année passée de Pearl Harbor, avec un succès pour le moins mitigé. Le producteur de "Top Gun " et "Armageddon " repart au front avec dans sa besace deux éléments de premier choix : un récit de guerre sur une mission suicide en Somalie et un réalisateur ayant renoué depuis peu avec les cimes du box-office, Ridley Scott.

 
La capacité inégalable de Brukheimer à mobiliser une logistique militaire titanesque et celle, remarquable, de Scott à la dompter, suffisent d'emblée à remplir le cahier des charges. Et il y a effectivement de quoi rester scotché au siège. Les scènes de combats urbains sont d'une violence et d'une fulgurance radicales. Le réalisateur de "Gladiator " y fait preuve d'une maîtrise technique époustouflante (bien servie par les musiques de Hans Zimmer, sobres et émouvantes) et met à profit son sens de la mise en scène pour simuler le chaos, sans perdre le spectateur en route.
"La chute du faucon noir " se veut visiblement à la croisée des chemins du film de guerre : un peu de "Full Metal Jacket " (partie Vietnam) dans la sécheresse du récit ; d'"Apocalypse Now " pour les hélicos ; de "Soldat Ryan " pour le réalisme documentaire ; de "Rois du désert " pour le cynisme désabusé mais mesuré… Des références plus qu'honorables aux côtés desquelles le dernier Scott peut se poser sans trop rougir.

Reste la teneur du message patriotique. Il est forcément présent : impossible de déplacer une armada d'hélicos et des dizaines de soldats jusqu'au Maroc, lieu du tournage, sans concessions scénaristiques valorisant l'US Army. Reste que ces dernières se voient ici comme le nez au milieu de la figure. Les éléments vaguement patriotiques et pathos ajoutés au récit, le sont de manière tellement maladroite et incongrue qu'ils se trouvent vidés de la moindre efficacité. Comme des post-its collés à la va-vite sur une fresque, ils ont le plus grand mal à cacher le propos réel du film : l'échec humiliant de l'interventionnisme américain, condescendant et ignorant.
D'autant que les soldats font ici preuve d'un courage admirable, non pas pour la gloire d'une cause ou d'un drapeau, mais pour sauver leur peau et celles de leurs camarades. Des pions naïfs dont l'étonnement est à la hauteur du profond rejet de leur "aide " par les populations locales. Haine atteignant son point culminant lorsqu'un ranger est sauvagement battu par la foule… mais finalement fait prisonnier. Respect des événements peut-être, mais surtout concession évidente : on imagine sans mal l'impact négatif sur le public outre-Atlantique des images d'un soldat US mis en pièce, dans le cadre d'une campagne dite humanitaire…

 

Car plus encore qu'un récit de guerre militaire, "La chute du faucon noir " est la parfaite illustration du conflit d'intérêts, de la guerre des compromis, qui agitent Hollywood. Se distinguent alors en filigrane dans le film deux œuvres : celle de la production, respectueuse d'une pédagogie indigeste, des passages obligés destinés à flatter le public yankee et des conventions chères au box-office ; et celle d'un "auteur ", beaucoup moins manichéenne, qui commence en même temps que la mission (un quart d'heure après le début du film) et s'achève sur des cercueils, juste avant la véritable fin (une ultime et ridicule tentative de rendre hommage). "La chute du faucon noir " est l'œuvre d'un mercenaire qui, s'il est loin d'être subversif, avance toujours caché. Aux spectateurs de savoir le démasquer.

Christophe BENEY

Lire les autres critiques Lien vers le site du film Archives