MILLENNIUM MAMBO
 
Un film de Hou Hsiao-Hsien

Taïwan. 2001. Scénario : Chu Tien-Wen. Photo : Mark Lee Ping-Bing. Musique : Lim Giong et Yoshihiro Hanno. Production : Hou Hsiao-Hsien et Eric Heumann. Durée : 1 h 45.

Avec Shu Qi, Jack Kao et Tuan Chun-Hao.
 
Taiwan. Année 01.
Vicky a la vingtaine. Elle passe sa nocturne jeunesse à osciller entre l'espace clos de son appartement et celui tout aussi fermé des boîtes de nuit. Son copain, Hao-Hao, se fait chaque jour plus possessif. Il n'en faut pas plus pour étouffer Vicky qui trouve refuge chez Jack, sorte de yakuza expatrié au grand cœur. L'occasion peut-être pour notre papillon de nuit de voleter vers de plus grands espaces.

Si beau qu'on en oublierait presque que c'est chiant.
Il ne faut pas exagérer : "Millennium Mambo " n'est tout de même pas le type de film sujet à la plus ennuyeuse des contemplations. Contemplatif, il l'est. Presque au point de faire passer le découpage des œuvres de Tsai Ming-Liang pour hystérique. Lent, il l'est aussi. Presque au point d'être soulagé d'apprendre que quatorze minutes manquent à l'appel par rapport à la version cannoise. Considérer la dernière œuvre de Hou Hsiao-Hsien comme indésirable serait pourtant la plus regrettable des erreurs.

 
D'abord parce que c'est probablement la création la plus aboutie, plastiquement parlant, d'un maître en la matière. Il n'y a qu'à se souvenir de sa plus récente livraison, ses somptueuses "Fleurs de Shanghai ", pour s'en persuader. Ensuite et surtout parce que "Millennium Mambo " s'impose par voie de conséquence comme un manifeste esthétique d'une éblouissante beauté, une œuvre urbaine et nocturne pourtant lumineuse. C'est le résultat d'un pari cinématographique à la limite de l'inutile, tant il est remporté haut la main. Rarement sons et images ont si bien comploté pour réduire le spectateur à la fascination la plus béate. Tout commence par l'échappée d'une jeune femme, Vicky, dans ce qui tient lieu de tunnel. La lumière crue des éclairages artificiels irradie comme jamais. Une techno à la mélodie lancinante, au beat tenant des pulsations cardiaques, rythme cette fuite en avant filmée au ralenti. Une course insouciante qui va caractériser les virées nocturnes de cette héroïne, véritable archétype de la jeunesse, de Taiwan ou d'ailleurs. Symbole ou plutôt icône. La beauté miraculeuse de Shu Qi, sa si séduisante langueur dans le simple fait d'exhaler la fumée de cigarette, subliment la pellicule d'une incroyable sensualité.
 

HHH ne glorifie rien et justifie encore moins les actes de son personnage principal. Pas de jugement. Juste un état des lieux, baignant en permanence dans le réel et transcendé de méticulosité, de part en part transpercé par le magnétisme de son interprète. Mark Lee Ping-Bing était dernièrement le directeur de la photo sur "In the mood for love ", autre monument esthétique, et Tu Duu-Chih a reçu à Cannes le prix de la CST pour son travail sonore : mais l'accumulation de talent n'explique pas tout. "Millennium Mambo " est la finalité commune d'artistes, de techniciens, de comédiens en état de grâce (les dialogues sont tous improvisés). Un objet presque inédit, certes parfois frustrant à cause d'un manque de péripéties, mais qui impressionne durablement la rétine, au sens le plus physique du terme. Avec ce que cela comporte en discussions sur l'utile et l'inutile, l'intérêt ou la vacuité, "Millennium Mambo " est tout simplement une œuvre d'art.

Christophe BENEY

Lire les autres critiques Lien vers le site du film Archives