8 FEMMES

 
Un film de François Ozon

France. 2001. Scénario : François Ozon, d'après la pièce de Robert Thomas. Photo : Jeanne Lapoirie. Musique : Krishna Levy. Production : Olivier Delbosc et Marc Missonnier. Durée : 1 h 43.

Avec Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Emmanuelle Béart, Fanny Ardant, Virginie Ledoyen, Danielle Darrieux, Ludivine Sagnier et Firmine Richard.
 
8 femmes et demi.
Années 50. Noël approche. Un homme est assassiné dans sa demeure. Le coupable est forcément l'une des huit femmes proches de la victime. Elles vont mener leur enquête, se soupçonner à tour de rôle et finiront par révéler leurs doubles natures.

Dead man dancing.
C'est certainement la plus belle distribution féminine imaginable pour un film français. Les grandes dames du cinéma sont là. Les demoiselles en voie d'être starifiées aussi. On ne parle plus d'étoiles mais de constellations. Cruelles, fragiles, sincères, hypocrites : chacune d'entre elles livre une prestation époustouflante de classe.
Des performances offertes avec le plus grand soin, car François Ozon aime les actrices. Mieux, il les chérit. Au point d'en faire ici des icônes hollywoodiennes, véritables hommages aux mythes de l'âge d'or qu'étaient Rita Hayworth, Ava Gardner ou Lana Turner. Le pouvoir de fascination de ses huit femmes transpire alors de toutes les images. Leurs toilettes sont choisies avec le plus grand soin. Leurs duos, duels ou affrontements collectifs sont orchestrés avec le souci évident de toujours présenter l'actrice sous son meilleur jour. Il aurait d'ailleurs été normal pour un réalisateur de se laisser submerger, aveugler, par tant de beauté et de talent. De reléguer l'intrigue au dernier plan. De faire dans le classicisme policé et sans saveur.

 
Fort heureusement, François Ozon n'est pas normal. Et encore moins ordinaire. Il embarque son casting huit étoiles dans une virée théâtrale revendiquée (le film s'inspire d'une pièce méconnue et la distance entre spectateurs et représentation est clairement établie), mais totalement atypique. Grâce en soit d'abord rendue aux numéros chantés et dansés par chacune des comédiennes, séquences déroutantes qui font décidément leur grand retour dans le Septième Art. Au cinéma plus que jamais, tout finit en musique. Ozon ne se gène pas pour faire de "8 femmes " un thriller certes, mais mâtiné d'une grande fantaisie formelle ; des chansons judicieusement choisies et interprétées sans l'orgueil de la performance, aux couleurs chatoyantes héritées du Technicolor.
Mais là où Ozon se montre le plus gonflé, c'est dans le contenu thématique de son film. Le talentueux jeune homme a explosé l'année dernière avec "Sous le sable ". Tellement que le reste de sa si particulière filmographie semblait en danger de retrait, comme le témoin d'une immaturité qui n'a pourtant jamais existé chez Ozon. "8 femmes " est pourtant le pendant direct de "Sitcom " et surtout de "Gouttes d'eau sur pierres brûlantes ", dont il partage clairement les partis pris de mise en scène.
 

Au cœur de ces deux œuvres se trouvait l'homosexualité, un thème tout d'abord latent puis clairement illustré par ces huit femmes (bel exemple de culot que d'emmener un si prestigieux casting sur ce terrain). Ce que décrit Ozon, c'est un monde sans homme (ce dernier étant finalement la source de tous les conflits du film), dans lequel les femmes se portent pour le mieux. Elles se crêpent le chignon avec passion et se livrent avec autant d'impudeur, dans cet environnement émasculé (le seul représentant de la gent masculine est un anonyme assassiné) mais terriblement émoustillant. Le désir est omniprésent. L'éveil à l'homosexualité se fait sensuel et provocant (éblouissante Emmanuelle Béart défaisant son chignon). Les conversations sur les rapports intimes avec les hommes sont, au mieux, sources de frustration, au pire, éludées. Ozon conduit dans la plus grande allégresse l'homme à l'échafaud, montrant ainsi, mais sans effacer leurs grandes parts d'ombre, comment les femmes tirent les ficelles et font tourner le monde (et les têtes), même si elles peuvent être de sacrées emmerdeuses. Il n'y a qu'à applaudir.

Christophe BENEY

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